La gastronomie occupe une place grandissante au sein de nos sociétés. Depuis plusieurs décennies, patiemment et en profondeur, la gastronomie française a étendu son influence dans le monde entier. Elle s’est imposée comme référence à travers ses valeurs et son savoir-faire. Et, dans le même temps, elle est devenue une source d’ouverture qui favorise, dans les différentes cultures, la diversité des expressions et des innovations dont elle se nourrit en retour. Dans un monde multipolaire, l’enjeu n’est plus d’affirmer un pouvoir et un leadership, l’enjeu est de mesurer son influence et sa capacité à partager.

La gastronomie française est considérée comme la première école de cuisine au monde. Les grands chefs étrangers sont pratiquement tous formés en France. Trois caractéristiques sont devenues des référents universels pour tous les chefs de la planète. Le premier est l’organisation du travail. Auguste Escoffier, il y a plus d’un siècle, a structuré les bases du métier tel que tous les grands cuisiniers le pratiquent aujourd’hui en inventant notamment la notion de brigade. Le deuxième est d’ordre technique. Elle dispose de la palette la plus large des modes de cuisson – grillé, sauté, rôti, poêlé, mijoté, à l’étouffée, poché... – là où les autres traditions culinaires n’utilisent qu’un petit nombre de techniques. Elle a inventé une gamme unique et très élaborée de sauces, bouillons, jus, fumets, marinades et émulsions. Cette expertise culinaire possède une qualité essentielle : l’adaptabilité à tous les produits et à toutes les cultures culinaires du monde. Le troisième référent repose sur sa gamme très étendue de produits, de saveurs et de textures avec laquelle seule la cuisine asiatique pourrait prétendre rivaliser.

Son influence s’est construite à travers une longue pratique de l’ouverture sur le monde. Les chefs français reconnus à l’étranger se distinguent par la diversité de leurs sensibilités. Notre gastronomie est la seule à former autant de chefs à travers le monde. De plus, elle s’enrichit aujourd’hui de ces cuisiniers étrangers qui viennent de plus en plus nombreux s’installer en France. Ils passent au prisme de leur interprétation les produits et le savoir-faire culinaire français. Dans ce contexte d’échanges intenses, la notion de cuisine « nationale » perd de sa pertinence. On ne compte plus les chefs français qui exercent leurs talents dans le monde. Et non moins nombreux sont les chefs étrangers qui pratiquent brillamment la cuisine française ou sont influencés par elle sur tous les continents. Au Japon, par exemple, le nombre de cuisiniers qui s’y réfèrent est impressionnant.

La majorité des jeunes que nous formons font un parcours international pendant leur formation. De nouveaux talents de jeunes chefs passionnés émergent sans cesse et apportent des regards innovants. Durant la dernière décennie, la vitalité de la nouvelle génération de chefs français a développé une offre de restauration de qualité créative et accessible.

Coopération

La position singulière et les atouts de la gastronomie française lui confèrent une responsabilité majeure. L’ambition du Collège culinaire de France, que nous avons créé en 2010 avec plusieurs grands chefs français, est d’unir les forces et les énergies des hommes et des femmes de métier pour promouvoir collectivement une cuisine saine, équilibrée et diversifiée, qui donne une place centrale aux produits de qualité issus d’une culture ou d’un élevage raisonnés.

La restauration de qualité n’existe pas seulement dans les cuisines de chefs étoilés. Sa pérennité, son rang et son avenir se construisent et se gagnent, chaque jour, dans chaque région, dans chaque ville et village, dans chaque cuisine de qualité. Le Collège culinaire de France a lancé en 2013 le mouvement militant des Restaurants de qualité qui fédère tous ceux qui s’engagent sur les valeurs et les pratiques du métier d’artisan restaurateur.

Les grands principes de l’art culinaire, dont la cuisine française constitue les racines profondes, sont éternels et universels. Les effets de mode sont le plus souvent des feux de paille qui épuisent et disqualifient très vite ceux qui s’y laissent prendre. Chaque cuisinier possède son territoire d’expression mental et émotionnel spécifique, différent des autres. Savoir quel est le meilleur ne repose sur aucune légitimité et n’a plus de sens dans un contexte où la diversité devient la principale richesse à mettre en valeur.

Nous devons prendre garde à ne pas soumettre les talents au marketing. Nous sommes en train de passer d’un monde de compétition à un monde de coopération, de conjugaison, de diversité et d’ouverture. La gastronomie française, par son influence grandissante à travers le monde, possède les valeurs et atouts pour en devenir la pointe avancée.